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La valeur des délaissés
La persistance des délaissés urbains, en particulier des friches - industrielles ou autres - peut-elle être comprise comme la manifestation d'un désintérêt complet des propriétaires et de la collectivité pour ces sols en déshérence ? S'ils sont, ou si on les laisse, à l'abandon, est-ce parce qu'ils ont perdu tout attrait ? La question ne saurait être uniquement envisagée sous l'angle de l'opportunité fonctionnelle : les besoins collectifs et privés existent, exprimables sous la forme de programmes et de projets architecturaux et urbains, et avec eux des sols tout prêts à accueillir équipements publics, logements ou locaux d'entreprises. Les délaissés, au même titre que les réserves foncières constituées ou envisageables en périphérie des villes, s'inscrivent dans un gisement foncier global pléthorique. Il ne s'agit pas seulement de les investir et d'y investir parce qu'ils sont là, mais parce que l'on y a intérêt. Aussi faut-il se résoudre à traiter les motivations économiques de l'abandon. Elles font la spécificité des délaissés, dans leur origine comme dans leur traitement à venir. Si bon nombre de ces terrains ne sont pas exploités, c'est, évidemment, comme partout ailleurs, parce que le marché de l'immobilier est capricieux, que l'investissement est risqué. C'est peut-être aussi parce que la nature de ces terrains les rend peu viables, soit qu'ils sont mal situés, soit qu'ils sont tellement pollués que leur remise en état leur confère une valeur négative. Enfin, c'est surtout parce que l'on ne sait pas les valoriser : les procédures d'action dont disposent les aménageurs privilégient l'extension plutôt que l'intensification, la périurbanisation plutôt que la fabrique de la ville sur elle-même. Le manque de rentabilité de ces terrains dans les cycles courts de l'aménagement semble avoir justifié leur état. Le projet Forêt des délaissés pourrait inverser ce constat : parce que les délaissés sont économiquement non rentables, parce qu'ils ne valent réellement plus rien, il faut les extraire de ces cycles et leur donner une autre rentabilité, écologique, sociale, symbolique. Laquelle restaurera l'utilité économique. La problématique de la valeur est donc au cur du projet. Selon les principes de l'économie de marché, de la juste allocation des lieux et des capitaux, si ces terrains sont abandonnés, « c'est qu'ils ne valent pas le coup ». A partir d'une mesure du phénomène, ou si l'on veut, d'une mesure de l'héritage (nature des délaissés, quantification, origines), on démontrera :
I. La mesure de l'héritageQu'est-ce qu'un délaissé ?
Une typologie complexe
La diversité des cas et des situations est grande. On peut recenser, sans regard du type de propriété ni du statut juridique des sols :
Comment mettre en oeuvre une politique des délaissés sans les avoir identifier auparavant au regard du droit ? Un travail d'identification, au travers d'un certain nombre d'indicateurs, qualitatifs ou quantitatifs, est nécessaire. C'est sans doute parce que, jusqu'à présent, le délaissé urbain n'avait fait l'objet d'aucune mise en valeur systématique, qu'il n'existe quasiment pas ni pour l'administration, ni pour le juge. Un travail d'identification, au travers d'un certain nombre d'indicateurs, est nécessaire.
a/ L'existence juridique
En revanche, le Code rural et le Code forestier contiennent deux notions proches des délaissés, mais qui concernent évidemment des territoires non urbains. - Les zones dégradées (art. 52-1, 3° et decr. 5 juill. 1973, chap. III) sont des zones rurales, "à faible taux de boisement (...) où, par décret, des plantations et semis d'essences forestières pourraient être rendus obligatoires dans le but de préserver les sols, les cultures et l'équilibre biologique." Par ailleurs, le décret du 5 juillet 1973 détermine les modalités d'exécution des plans de reboisement de ces zones. Elles se révèlent particulièrement intéressantes, accompagnant la notification de reboisement au propriétaire d'un projet de convention avec l'Etat qui lui permet de participer à la valorisation de sa parcelle. - Les terres incultes ou manifestement sous-exploitées (art. 39 à 45). L'article 39 illustre une modalité de fixation de la sous-utilisation d'un sol : "Toute personne morale ou physique peut demander au représentant de l'Etat dans le département l'autorisation d'exploiter une parcelle susceptible d'une mise en valeur agricole ou pastorale et inculte ou manifestement sous-exploitée depuis au moins trois ans." Le Code de l'environnement évoque certaines friches industrielles au travers de la législation sur la cessation d'activités dans les installations classées ( art. 34 du décret du 21 septembre 1977) qui ne soulève pas le problème de la détermination, puisque ces installations sont répertoriées : une cessation d'activité doit être déclarée, impliquant dès lors la création d'un délaissé. Le Code des impôts identifie une catégorie "friche" pour le calcul de la base de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, qui n'est pas réductible aux délaissés. Cette catégorie regroupe plutôt des friches agricoles que des friches urbaines. Il existe une variété assez grande de classements effectifs des délaissés, en sol (terrain sans valeur locative), landes, terrains à bâtir, jardin. b/ L'existence factuelle Parmi les organismes d'étude et/ou d'aménagement, l'IAURIF (Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Ile-de-France) propose une observation de l'utilisation du sol en Ile-de-France au moyen d'un système d'information géographique baptisé MOS (Mode d'Occupation du Sol). La prise en compte du délaissé dans la nomenclature des espaces est révélatrice de la difficulté d'une définition. La nomenclature la plus fine (110 postes) recense trois types d'usages assimilables aux délaissés pour les secteurs ruraux (surfaces en herbe non agricole, espaces ruraux vacants (marais, friches), berges), et un seul pour les secteurs urbains (terrains vacants en milieu urbain). Les terrains bâtis à l'abandon, les bords d'infrastructures assimilés à l'infrastructure elle-même, échappent donc à cette nomenclature. Dans l'inventaire périodique des friches industrielles[1] que publie l'IAURIF, sont distinguées trois catégories : 1. Les friches industrielles sont des espaces, bâtis ou non, anciennement occupés par une activité industrielle, et désormais désaffectés ou très sous-utilisés. 2. A une échelle plus vaste, les friches urbaines sont des secteurs du tissu urbain à dominante industrielle composés de locaux d'activités et d'immeubles d'habitation dégradés, en voie de "taudification" et parfois même abandonnés. 3. Les établissements vulnérables sont ceux dont on imagine à terme, à cause de leur dégradation, qu'ils vont être libérés. Ces trois catégories ne recoupent pas l'ensemble des délaissés. Il est à noter que l'IAURIF n'effectue pas un complément du MOS à partir de cet inventaire. De fait, les délaissés n'existent pas regroupés sous un seul vocable. L'incertitude quantitative La difficulté pour définir de façon exhaustive le délaissé explique sans doute le manque de données quantitatives fiables. Terrains des Z.A.C. gelées, friches industrielles, emprises autoroutières ou ferroviaires, tous appartiennent à des registres statistiques différents, recensés par des organismes différents et dans des buts différents. Sur les Z.A.C. en difficulté, les informations sont lacunaires. On dispose pour l'Ile-de-France de l'étude de l'Observatoire régional du foncier[2] (ORF) : en 1995, la moitié des 661 Z.A.C. autorisées étaient considérées en difficulté, dans la mesure où aucun permis ou mise en chantier n'avait été enregistré depuis deux ans au moins. Pour le marché spécifique des zones d'activités, une étude de l'ADEF[3] de 1993 révèle l'ampleur du blocage : en 1989, 265 ha de zones d'activités économiques avaient été créés, contre 533 ha vendus. Le marché était porteur, les créations allaient se multiplier. En 1991, 455 ha étaient créés, contre 398 vendus (le marché déjà régressait) ; en 1992, plus de 545 ha étaient aménagés, alors que seulement 208 étaient vendus... Sur les terrains vacants urbains, le MOS de l'IAURIF fournit pour l'agglomération parisienne (petite couronne) des données générales, résumées dans ce tableau :
Source : IAURIF
Si à Paris, les terrains vacants diminuent dans la période 1990-1994, ils augmentent partout ailleurs. Dans la phase de spéculation, entre 1987 et 1990, la diminution du vacant est notable, autant que sa reprise à partir de la crise. De 1982 à 1990, il croit de 4% par an en Seine-Saint-Denis, de 2% dans le Val-de-Marne, de 1% dans les Hauts-de-Seine. Certes, il progresse moins vite que l'agglomération (qui gagne de 400 à 900 ha par an) - ce qui tend à prouver, de toute façon, que l'agglomération parisienne continue de s'étendre au lieu de se densifier. Mais le processus d'urbanisation génère son propre délaissé, qui représente une part non négligeable : entre 1990 et 1994, l'espace urbain a crû de 408 ha, le "vacant urbain" de 110 ha. La création de 10 ha d'urbanisation en Ile-de-France s'accompagne de 2,5 ha de terrains vacants. La mesure du délaissé au sens le plus strict du mot (espace résiduel de l'équipement et de l'urbanisation du territoire : bords de routes et de voies ferrées, marges de zones commerciales, etc.) n'est pas réalisée par les organismes d'étude. Sans doute parce qu'il est difficile à évaluer et que son observation ne rapporte rien. Espace sacrifié, vulgaire - à l'opposé de l'espace noble - le délaissé est déconsidéré. On peut seulement l'évaluer, à partir de références simples : prendre un tronçon de voie SNCF, estimer la surface du délaissé, la multiplier par le nombre de kilomètres de voies intra-urbaines ; prendre la Nationale 20 de Paris à Etampes et compter le nombre de maisons abandonnées, de parkings spontanés, etc. Plus globalement, il convient de réaliser, comme l'indique Françoise Choay, "la mort de la ville et le règne de l'urbain"[4] : l'abandon de l'intervention sur des petits espaces, à des échelles réduites. Donc l'omission de pans entiers du territoires, peu visibles parce qu'éparpillés, auquel on n'attache aucun soin. Le temps imparti pour cette étude n'a pas permis de réaliser un recensement exhaustif des délaissés, qui resterait à faire, exigeant un cadre méthodologique et technique solide. Origine et formation des délaissés Les délaissés résultent d'un processus complexe, dans lequel des temporalités et des logiques multiples interagissent. Entre l'histoire longue de l'urbanisation, marquée par la mainmise de l'Etat puis par son désengagement, l'histoire, plus longue encore, de la mutation économique post-industrielle, et celle, plus courte, des crises immobilières, les sols urbains ont été soumis à des tensions de forces et de directions inégales. Non seulement les délaissés existent de manière structurelle, car les choix d'urbanisation ont conduit à des formes urbaines extensives, favorisant les vides, mais, en outre, les évolutions récentes des marchés marquées par des cycles spéculatifs, ont renforcé cette tendance, en multipliant les terrains non rentables et "inutiles". Cinquante ans d'urbanisation La croissance urbaine de la France s'est opérée par l'extension périphérique des villes plus que par leur densification. Au désordre évident des lotissements pavillonnaires de l'après Première guerre mondiale s'est substitué l'ordre apparemment rationnel de ceux des années 1950, auquel s'est ajoutée la manifestation concrète des théories du mouvement moderne, le grand ensemble. Dans les deux cas, la faible densité créée, dans le cadre d'un zonage systématique qui gèle les fonctions (habiter, travailler, se divertir, consommer, etc.), implique l'émergence d'espaces intermédiaires flous, sans usage, ou d'espaces à usage unique, peu modulables. Le terrain vague de l'ère industrielle disparaît au profit du terrain vide[5]. Les possibilités d'abandon se multiplient entre les espaces de la vie quotidienne. De plus, dans les grands ensembles, la structure de la propriété et le découpage parcellaire aboutissent à des incohérences, qui rendent difficile, voire impossible, l'intervention publique. Les parcelles non construites sont rétrocédées aux communes ou aux privés, tandis que les bailleurs, à l'origine propriétaires de l'ensemble des terrains, n'en conservent que les parcelles bâties. Le découpage ainsi déterminé s'opère sans égard pour la forme urbaine. Devant la nécessité de desservir les espaces périphériques, la programmation massive d'équipements routiers entretient la périurbanisation. Les groupes de pressions alliés, favorables à l'essor du véhicule individuel, obtiennent la constitution d'un maillage routier dense. Or, on privilégie l'autoroute, urbaine ou non, la fluidité de la circulation, aux dépens de l'intégration des flux dans la ville. La ville adaptée à l'automobile suppose de vastes emprises, à côté desquelles l'urbanisation aurait dû être rendue impossible du fait des nuisances et des coupures qu'elle supporterait. De fait, la politique d'urbanisation, et les organismes qui l'ont appliqué, ont créé les conditions foncières de l'existence du délaissé. Les mutations de l'économie La mutation profonde de l'appareil productif, la hausse des taux d'intérêt, ou le désengagement de l'Etat ont contribué directement ou non à la multiplication des délaissés. D'un côté étaient libérées les emprises de sites de production devenus obsolètes et peu concurrentiels, souvent difficilement réutilisables parce que polluées ou lourdement bâties. De l'autre, la hausse des taux d'intérêt et la baisse de l'inflation rendaient coûteux le portage foncier et détournaient nombre d'investisseurs vers d'autres secteurs. Un gisement foncier considérable a été mis à jour, notamment dans les bassins traditionnels de l'industrie, dans le nord, l'est de la France et le bassin parisien : les friches industrielles. Crise de l'immobilier et mécanismes fonciers Le délaissé a pris toute son ampleur avec la crise de l'immobilier et de l'aménagement des dix dernières années. Elle a, d'un côté, maintenu en l'état un certain nombre de friches et empêché leur réemploi, et de l'autre, créé un nouveau type de terrains délaissés, les terrains en attente de réalisation. On pourrait résumer la situation à partir de deux mécanismes observés et largement analysés par les économistes du foncier : l'effet de cliquet : les propriétaires gardent en tête les prix fonciers les plus hauts de la bulle spéculative (1990-1991), et ne souhaitent aliéner leur bien qu'à ce prix. Ils patientent donc jusqu'à une hypothétique reprise pour céder leur foncier, créant des situations d'attente qui peuvent s'éterniser. Ce mécanisme est renforcé par les modalités d'évaluation des terrains par le juge de l'expropriation. Lors d'opérations d'aménagement menées avec préemption ou expropriation, le juge fixe le montant de l'indemnisation des propriétaires par référence aux mutations enregistrées dans le voisinage, déterminant théoriquement le prix du marché. Il fixe ainsi de nouvelles références, alors que les dernières mutations enregistrées peuvent ne plus correspondre au marché au moment de son jugement. Des difficultés se posent également dans les quartiers dégradés, lorsque le nombre de mutations est insuffisant pour servir de références. Le mécanisme du compte-à-rebours permet d'analyser le sort de nombreux délaissés. Ce sont les Z.A.C. en difficulté : la baisse des prix de l'immobilier (prix de demande) s'est effectuée alors que les achats de terrains s'étaient réalisés aux prix les plus élevés, obérant l'équilibre financier des opérations. En effet, les coûts de construction, les taxes et les participations constituant un coût relativement constant dans les opérations d'urbanisme, la variable la plus sujette à évolution est le coût d'acquisition du foncier, ou charge foncière. Sur une opération, la hausse du prix de l'immobilier de 50% peut entraîner une hausse de 200% de la charge foncière admissible. Les Z.A.C. mises en chantier au moment où le sol était à son prix le plus haut ont subi de plein fouet la baisse des prix à partir de 1991, ne pouvant écouler leur stock de logements ou de bureaux au prix prévu. Selon l'âge de la Z.A.C., la production de délaissé diffère : les plus anciennes ont eu le temps d'opérer une réduction du périmètre ou un changement de programme. Une partie a donc été abandonné. Parfois, elle ont obtenu la possibilité d'étaler leur commercialisation. Les plus récentes, qui ont acquis les terrains mais n'ont pas démarré les travaux, se retrouvent bloquées au stade initial. Dans l'attente d'une solution (changement de programme, abandon d'une partie de l'opération, nouveau phasage), les opérateurs-propriétaires, notamment les SEM communales, laissent leur terrain en l'état, tout en continuant d'en assurer le portage. La fragilité financière des collectivités locales Le principe de l'économie mixte implique le soutien financier des collectivités publiques aux sociétés créées avec elles. Dans tous les cas, les communes garantissent les emprunts des SEM, comblent leurs déficits par des subventions ou des prêts, assurent la sécurité financière nécessaire à leurs opérations. Que ces opérations soient des échecs, et les finances locales se retrouvent grevés à la mesure des investissements réalisés, souvent importants. De fait, dans bien des communes, une opération d'aménagement échouée empêche la mise en route de toute autre réalisation, qui pourrait, elle, être rentable. Ce mécanisme engendre de nouveaux délaissés, tous les terrains pouvant être valorisés par la collectivité, mais dans l'attente de son intervention. En outre, le coût de la gestion de certains espaces promet, à moyenne échéance, l'abandon de nouveaux espaces, conçus récemment. Le cas des espaces verts est significatif. Parcs et jardins coûtent chers à concevoir et à réaliser. Assez souvent, seul le coût d'investissement a été prévu, sans souci du coût de fonctionnement. Alors que le prix de l'eau est assuré de croître durant les prochaines années, les communes auront-elles les moyens financiers de pourvoir à leur arrosage ? Seront-elles obligées d'en abandonner une partie, au risque de déplaire à l'opinion, ou de les conserver à perte ? Dans maintes situations, on peut penser que de nouveaux délaissés verront le jour. II. La mesure de la valeurLa cause première du délaissé est économique. C'est l'absence d'un revenu tiré du bien qui conduit à son inutilisation. Aussi l'on pourrait dire que le délaissé ne vaut rien. Les remarques qui suivent mettent en évidence la difficulté de juger de la valeur du sol, avant de montrer que, si le délaissé ne rapporte rien, il coûte à son propriétaire comme à la collectivité. Quelle(s) valeur(s) ? Evaluer un terrain : pratiques courantes et valeurs multiples Un terrain n'a pas une valeur unique. Cette assertion va à l'encontre du principe de l'économie de marché, pour laquelle la rencontre entre l'offre et la demande conduit à un prix d'équilibre. Mais le fait est sûr : selon les acteurs, la valeur reconnue à un sol varie. C'est le résultat des pratiques et des attentes de ces acteurs, le prix réel n'étant connu que lors de la transaction. Pour un aménageur, la tendance est de considérer le terrain à aménager à la valeur liée à son usage antérieur. La valorisation étant le fait de l'aménagement, lui-même permis par la règle décidée par la collectivité (classement en zone urbanisable, COS), la plus-value créée doit retourner à la collectivité. L'achat d'un terrain à aménager doit se faire au coût qui prévalait avant que le terrain ne puisse être aménagé, sans que le propriétaire antérieur ne tire profit d'un élément qui ne dépend pas de lui. Pour un promoteur, le prix se détermine, suivant le mécanisme déjà évoqué du compte-à-rebours, selon l'usage futur. Le prix du sol acceptable, seule donnée réellement variable dans la réalisation d'une opération immobilière, est directement dépendant des prix de l'immobilier et de leur évolution. Pour une entreprise, propriétaire d'un terrain, celui-ci aura la valeur enregistrée dans son bilan comptable, parfois déconnectée de la réalité du marché. Le capital immobilier de l'entreprise, calculé lors de l'achat du terrain, n'est pas réévalué chaque année, il est simplement retranscrit, le plus souvent pour une valeur égale, dans le bilan comptable de l'année suivante. Pour l'administration fiscale, la valeur du terrain varie selon l'impôt : pour la TFNPB, elle est fixée suivant sa valeur locative, définie par les commissions communales des impôts indirects (voir plus loin, sur la fiscalité des délaissés). C'est à partir de cette valeur que sont calculées les bases des impôts fonciers. Pour le calcul de l'Impôt sur la fortune, en revanche, la valeur du sol est déclarative : c'est le propriétaire qui doit la communiquer et la justifier. Pour l'impôt sur les plus-values, la référence est le prix de transaction enregistrée auprès du notaire. Pour un particulier qui cherche à acquérir un bien, la valeur sera celle du marché : celle affichée dans les agences immobilières, celle qu'on est prêt à dépenser, ou encore celle que ses futurs voisins ont pu dépenser. C'est également cette valeur du marché que cherche à prendre en compte le juge de l'expropriation, en fixant le prix d'une parcelle par référence aux actes enregistrés pour des parcelles similaires dans la même commune. Enfin, quelle valeur retenir pour les terrains vendus au franc symbolique ? Est-ce leur valeur réelle ? Quand il s'agit de terrains pollués, qui nécessitent des investissements lourds pour les rendre utilisables, on peut parler de valeur négative, que le franc symbolique vient figurer. L'acquéreur, que l'on devrait en théorie payer pour qu'il achète ces terrains, accepte de prendre un risque financier pour les valoriser. Cette variabilité de la valeur s'applique dans le cas des délaissés. Une friche peut ne rien valoir pour le fisc, qui ne la classe pas en terrain à bâtir, mais peut avoir un prix très élevé pour un promoteur qui souhaite y investir. A l'inverse, un terrain dont personne ne veut, parce qu'il n'a aucun usage envisageable de façon raisonnable, peut "valoir" cher parce que le juge de l'expropriation l'a estimé, en comparaison avec les mutations les plus récentes de terrains voisins supposés comparables. A propos du délaissé, dire d'un terrain qu'il ne vaut rien ne veut pas dire grand chose, sauf à préciser pour qui. Valeur du marché, valeur sociale Le bilan coûts-avantages qui permet à l'agent économique de calculer si un bien a de la valeur est difficilement extrapolable dès lors que l'on ne se contente plus de considérer le sol uniquement comme un facteur de production. Il faut prendre en compte, par exemple, le prix que l'on est prêt à payer pour disposer d'un espace vert, pour le traverser ou l'avoir en face de chez soi, ou l'investissement nécessaire à un transport en commun (externalités). Plus complexe encore, la somme que l'on ne dépensera pas pour réparer les méfaits de la pollution parce que l'on a su réaliser suffisamment de parcs et de forêts (coûts d'évitement). Autrement dit, si le délaissé ne vaut peut être plus rien, pour son propriétaire (c'est-à-dire pour celui qui a le droit d'agir et d'investir dessus) et pour le marché, il peut valoir pour le voisin qui préfère avoir un peu de verdure à côté de chez lui plutôt qu'un immeuble de bureaux, pour la commune qui n'a plus les moyens de créer de nouveaux espaces verts, pour le producteur de bois qui peut éventuellement l'exploiter, pour les enfants de l'école voisine qui ne savent plus ce qu'est la nature brute, non anthropisée. Il est donc légitime d'intégrer d'autres valeurs, qu'on appelle dans la théorie économique anglo-saxonne, les "valeurs contingentes" ou option values : la valeur écologique (ce que le terrain permet d'économiser en minimisant la pollution), la valeur sociale (les usages autres qu'économiques qui peuvent intéresser les citoyens), voire la valeur symbolique (le fait, par exemple, que ces mêmes citoyens, totalement urbains, soient encore en contact avec la nature et le sauvage). Dès lors, le délaissé a une "valeur" potentielle plus importante que ne le fait croire son inutilisation. Le coût du délaissé participe de sa dévalorisation Délaisser un terrain est un acte coûteux, qui empêche cette valeur potentielle évoquée ci-dessus de devenir effective. Le coût du délaissé résulte de la conjonction de cinq postes : fiscalité, coût de portage, manque à gagner de valorisation, coûts de maintien en l'état (entretien, gardiennage), coûts de remise en état. 1. La fiscalité des délaissés Si ce n'est pas toujours une somme élevée, la fiscalité peut être un argument mobilisant les propriétaires, parce qu'elle représente un coût net, et qu'elle est traditionnellement mal perçue. On présente ici brièvement la fiscalité des délaissés et les modalités de calcul de ces taxes, puis les résultats obtenus pour les terrains étudiés. a/ Généralités sur la fiscalité foncière Deux taxes locales concernent les délaissés : la taxe foncière bâtie et la taxe foncière non bâtie. La taxe professionnelle est hors de propos ici puisque l'abandon du sol suppose une déclaration de cessation d'activités qui suspend, pour une entreprise, le versement de cette taxe. De même, la taxe d'habitation n'est perçue que si le terrain est habité légalement. La taxe foncière sur les propriétés bâties est établie annuellement sur constructions, tandis que la taxe foncière sur les propriétés non bâties est établie sur les terrains selon un système de classification complexe, institué par le Code général des impôts. Dans les deux cas, les propriétés publiques sont exonérées. Ces valeurs sont essentiellement fictives, non réévaluées dans les faits depuis 1971. En 1992, la loi Bérégovoye devait procéder à cette réévaluation de l'ensemble des biens fonciers sur le territoire. Elle a été réalisée, mais jamais appliquée, et peut être aujourd'hui considérée comme caduque. Ainsi, les terres en friche sont taxables, bien qu'elles ne rapportent aucun revenu à leur propriétaire. Dans le cas des friches urbaines, il est important de retenir que le montant de la TFPB ou de la TFPNB ne dépend pas de l'affectation du terrain au POS. Ainsi, pour l'administration fiscale, la classification en terrain constructible ne repose pas sur la valeur intrinsèque du sol, ni sur sa situation, mais sur la destination que lui fixe son propriétaire. En pratique, c'est lorsqu'un terrain est aménagé qu'il entre dans la catégorie terrain à bâtir. Non seulement la plupart des terrains urbanisables (NA au POS) sont imposés sur la base de leur ancienne valeur agricole, mais, inversement, un terrain classé "à bâtir" et imposé comme tel peut très bien être inconstructible au regard des documents d'urbanisme. 2. Le coût de portage L'achat d'un terrain nécessite souvent un emprunt, dont les intérêts pèsent tant que le revenu qu'on attendait de ce terrain n'est pas perçu. Dans le cas des Z.A.C. en difficulté, le retard pris sur la commercialisation des droits à construire ne permet pas de rembourser le capital emprunté, ce qui implique de nouveaux emprunts. Les frais financiers cumulés atteignent vite des montants considérables qui condamnent l'opération. Le délaissé a un prix, celui du déséquilibre financier induit par le délai entre un achat que l'on ne peut différer et une réalisation dépendante de la conjoncture. 3. Le manque à gagner de la non utilisation Ce calcul repose sur un autre principe simple, qui peut éventuellement inciter un propriétaire non aménageur : un terrain délaissé et immobilisé que l'on souhaite concéder à un aménageur fait perdre de l'argent à son propriétaire qui, s'il le vendait tout de suite, pourrait investir ailleurs. Pour un terrain moyen de 1000m2 valant un million de francs (soit une valeur admissible de 1000 F le m2), le manque à gagner au bout de cinq ans peut représenter, selon le taux d'intérêt retenu, entre 338 000 et 469 000 francs, soit la moitié de la valeur initiale. 4. Les coûts de maintien en état : entretien, gardiennage Dans un délaissé, on pourrait supposer que l'abandon entraîne des frais d'entretien nuls. Il peut exister cependant certaines limites : Un terrain partiellement occupé peut nécessiter l'entretien de la totalité. Ce n'est pas le cas des grandes friches industrielles à bâtiments dispersés, dans lesquels certains bâtiments peuvent être utilisés et d'autres non, lesquels ne sont pas entretenus. Pour d'autres, plus compacts, la bonne marche d'une partie des bâtiments encore utilisée peut exiger un entretien de l'ensemble. A Billancourt, par exemple, Renault reste implanté sur la moitié de ses terrains côté Boulogne, mais doit veiller à la conservation de l'ensemble des 35 hectares, ce qui lui coûte environ 30 millions de francs par an. Le propriétaire souhaitant préserver la valorisation future de son bien le protégera des intrusions et des dégradations éventuelles. Il s'agit d'éviter la dépréciation du bien qui n'est donc pas sans valeur. Les terrains de Z.A.C. en difficulté, où les VRD ont été réalisés, nécessitent un entretien et une surveillance (contre l'usure, contre le vol aussi). Les coûts de clôture et de gardiennage sont à prendre en compte, particulièrement lorsque la friche s'étale sur un temps long. Ainsi à Saint-Denis a-t-il fallu creuser un fossé tout autour de la friche pour éviter que le terrain ne devînt un parking spontané ou un dépôt d'ordures, et il faut entretenir les murs de clôture. A Villiers-le-Bel, l'organisme HLM a recours deux fois par an à une entreprise pour tondre l'hectare du terrain vague, afin de maintenir une certaine dignité au grand ensemble voisin. 5. Les coûts de remise en état : dépollution, démolitions La remise en état d'une friche est souvent un argument rédhibitoire, qui favorise, par son coût, le délaissement. Aussi le délaissé ne coûte-t-il pas en principe, sur ce plan. Sauf que le propriétaire ou l'ancien utilisateur peut avoir obligation de remise en état du site, selon la législation sur les installations classées. Toute mutation ou tout aménagement ajoute au bilan ce coût de remise en état. Or, le projet "forêt des délaissés" suspend partiellement ce coût en recherchant, quand cela est possible, des solutions douces et peu coûteuses, mais plus lentes, pour rendre le site utilisable. Aussi, à une somme importante incontournable, nous proposons une alternative plus économe. Dans le cas d'un site pollué commun, sur lequel la remise en état n'est pas obligatoire, le prix de la remise en état incombe au repreneur. A cet instant, l'organisme en charge des délaissés intègre cet inconvénient à son projet et cherche les solutions techniques pour le minimiser.
III. Quelles mesures ? : pistes de recherche pour un projetLe délaissé coûte donc, à la fois pour le propriétaire et pour la collectivité. Les ordres de grandeur de ce coût permettent d'envisager qu'on y investisse des sommes raisonnables pour les mettre en valeur. Cette partie envisage des mesures possibles, dans le cadre du projet "forêt des délaissés", pour favoriser la mobilisation des pouvoirs publics, des propriétaires, des acteurs de l'aménagement et des citoyens autour des délaissés. Pour une législation du délaissé Dans la mesure où le Code de l'urbanisme ne définit pas les sols sous-utilisés et les friches urbaines, l'essentiel d'un travail de legislatif et/ou réglementaire consisterait en une adaptation des notions applicables au monde rural (zones dégradées, terres incultes ou manifestement sous-exploitées) vers les zones urbaines. D'ailleurs, si le Code de l'urbanisme s'applique à l'ensemble des communes, rurales et urbaines, réglant les questions de planification et de construction, pourquoi le Code rural se limite-t-il aux espaces ruraux, autrement dit pourquoi un code réglant les questions relatives aux espaces naturels, productifs ou non, ne s'appliquerait pas aussi à toutes les communes ? Au regard de notre analyse générale du délaissé, témoin de la reconquête naturelle des villes, mitage inverse des villes par la campagne, cette question théorique mérite d'être posée. Nous proposons ici quelques pistes pour une législation sur les délaissés. Le problème fondamental est bien la traduction de concepts traités dans le Code rural pour le Code de l'urbanisme. Ces pistes concernent à la fois l'identification des délaissés et leur mise en valeur par un projet naturel ou forestier. Qui désigne le délaissé ? Plusieurs modalités de détermination des délaissés sont à envisager, selon que le délaissé est recensé systématiquement ou ponctuellement, et que la démarche résulte d'entreprises individuelles (comme pour la personne morale qui veut reprendre à son compte une terre inculte pour l'exploiter) ou institutionnelles (si la collectivité estime que le délaissé doit être résorbé) : La parole de l'expert. Comme dans le cas des commissions départementales d'aménagement foncier pour les terres incultes, on peut identifier un délaissé en se référant à l'avis d'experts. Ces commissions, déjà existantes, pourraient voir leurs compétences à la détermination, non plus dans des secteurs ruraux mais dans des espaces urbains, des terrains délaissés. La déclaration du propriétaire. Dans le cadre d'une politique d'incitation, explicitant les coûts du délaissé et favorisant des interventions douces, le propriétaire aura intérêt à se faire connaître. La détermination du délaissé peut donc reposer sur une déclaration intentionnelle du propriétaire auprès de l'organisme en charge des délaissés. Le travail de la commune. Les services municipaux, s'ils ont les capacités techniques et financières, seraient susceptibles de déterminer, à la plus petite échelle administrative, la localisation et la nature des délaissés. Le principal avantage de cette solution est la bonne connaissance du terrain, qui pourrait assurer d'un travail prompt. Les associations. Certaines associations écologistes ou associations de quartier pourraient intervenir dans la désignation des délaissés dans les périmètres où elles ont vocation à agir. Quels critères de désignation ? Une fois définies les structures aptes à identifier les délaissés, se pose le problème des critères à retenir. On peut imaginer plusieurs indicateurs, dont un seul est vraiment satisfaisant : L'inutilisation effective du terrain depuis une certaine durée. Cela suppose le constat, par l'autorité compétente, d'une inutilisation manifeste durant un intervalle de temps donné (deux ans, par exemple). C'est l'indicateur le plus évident et le plus sûr. Il permet de couvrir l'ensemble des situations possibles, mais impose le recours à des données nouvelles, qui ne sont disponibles dans aucune institution à ce jour. La non imposition , dans le cas d'un terrain urbain, au titre de la taxe d'habitation ou de la taxe professionnelle, à croiser avec le statut de la propriété (public ou privé) et la nature des constructions qu'il supporte. La déclaration de cessation d'activité pour des installations classées définirait une condition de délaissé mais uniquement sur ce type de terrains. On pourrait l'élargir à une "déclaration de délaissé" par le propriétaire, selon des modalités similaires. Les modalités de mise en valeur A l'image de ce qu'il en est pour les terres incultes ou manifestement sous-exploitées, une fois le délaissé identifié, une notification pourrait être adressée au propriétaire avec l'obligation de le mettre en valeur suivant les usages locaux autorisés ou d'en céder l'usage à l'organisme en charge des délaissés pour une durée de 10 à 20 ans, moyennant les avantages fiscaux énoncés plus loin, afin que soit mis en oeuvre un projet "forêt des délaissés". Un projet de convention pourrait être joint à la notification, qui associerait le propriétaire au projet, notamment si le terrain s'avérait susceptible de produire du bois de coupe. Le projet achevé, et la mise en valeur réalisée, le propriétaire pourra au bout de la durée prévue dans la notification, retrouver l'usage de son bien en conformité avec les droit des sols communal. Pour une fiscalité du délaissé La fiscalité ne représente pas toujours un coût réel important du délaissé. Néanmoins, la portée symbolique de l'impôt et la mise en place de mesures incitatives pourraient faire en sorte que les propriétaires souhaitent, davantage que de conserver un délaissé qui leur coûte, le confier à l'organisme en charge des délaissés. Deux types de mesures sont envisageables, à mettre en oeuvre conjointement : Surtaxer les délaissés. Dans les zones urbaines des plans d'occupation des sols, il existe un mécanisme pour lutter contre la rétention foncière des terrains sur lesquels la collectivité a investi, par l'aménagement de la voirie, la réalisation d'un réseau d'assainissement, etc. L'article 1396 du Code général des impôts (loi du 11 janvier 1980) permet en effet de multiplier par 200% les bases d'imposition des parcelles situées en zone urbaine et non bâties, taux porté à 500% depuis la loi de finances de 1994. Nous proposons de reprendre ce principe pour l'appliquer aux délaissés. Pour être efficace, le revenu imposable devrait correspondre, au bout de deux à trois ans, à une somme supérieure à celle nécessaire pour lancer sur un terrain un projet "forêt des délaissés". Il s'agira, alors, de multiplier d'autant qu'il sera estimé nécessaire, la base de la TFPNB sur les parcelles jugées délaissées au regard de la nouvelle législation. Exonérer les "forêts des délaissés". La surtaxation n'a de sens que si un mécanisme incitatif parallèle y répond, qui suspendrait le paiement de la TFPNB sur les parcelles déclarées délaissées par leur propriétaire, concédées à l'organisme en charge de la "forêt des délaissés". La TFPNB représente une part minime des recettes des communes urbaines, et l'on pourrait envisager un fonds de compensation à l'image du FCTVA. Cela s'inscrit de plus dans une réforme nécessaire de la fiscalité des espaces naturels. Guillaume Sainteny[6] constate dans un rapport au ministre de l'Environnement que "le régime de l'impôt foncier n'autorise aucune exonération ni même aucun abattement sur la valeur locative cadastrale pour des motifs de préservation ou d'entretien biologique du milieu naturel. Au contraire, il prévoit des exonérations pour des activités nuisibles à l'environnement (assèchement des marais)". L'auteur suggère "l'instauration d'exonération sur des terrains rendus à leur état antérieur, lorsque cela s'accompagne d'une amélioration de la valeur écologique". Il y là matière a réflexion, pour mettre en harmonie la fiscalité et les principes du développement durable qui prédominent aujourd'hui. C'est dans ce contexte aussi que s'inscrit la forêt des délaissés.
ConclusionLa ville moderne produit du délaissé. L'ensemble du système économique et juridique de production de terrains urbanisés et d'équipement du territoire conduit indubitablement à créer toujours plus de vides et de franges isolées, sans utilité économique apparente pour le marché. Dans un sens, la dimension techniciste de l'urbanisme, qui a dominé le champs de la discipline, privilégiant une idéologie du progrès et de la modernité aux dépens du sens et souvent de l'homme, a fait un choix, celui de la forme réticulaire du territoire et du zoning à petite échelle. Avec son corrolaire, l'abandon de pans entiers du territoire. A l'heure actuelle, quoique les discours des professionnels vantent les mérites de la mixité, refusent le zoning, les pratiques restent souvent cantonnées aux dérives anciennes, ne serait-ce que parce que les lois adoptées à une autre époque, celle de la Croissance, rendent obligatoires ces pratiques. Plus encore, les logiques institutionnelles renforcent aujourd'hui la dégradation de la situation. Les aménageurs publics qui ont acquis des terrains à des prix élevés, persuadés qu'ils seraient rentables, peuvent difficilement avouer des pertes alors qu'il leur suffit d'attendre une hypothétique hausse des prix. De même, un maire, président d'une SEM déficitaire, n'annoncera pas qu'elle coûte chaque année un peu plus à ses contribuables. L'espoir de valorisation patrimoniale l'emporte encore, même si l'horizon de cette valorisation se fait de plus en plus flou. La plus-value imaginable, ou imaginaire, domine le simple calcul rationnel du coût de la friche. C'est pourquoi notre projet porte en lui, au-delà de la réforme législative ou réglementaire qu'il propose, avec son volet fiscal, une réflexion globale sur la culture et les pratiques de l'aménagement des villes. Suréquipée en certains points, victime de la concurrence des communes pour détourner vers elles quelque activité qui se présente, mais incapable de gérer la dynamique complexe du renouvellement de la ville sur elle-même et d'éviter la dégradation des quartiers où elle avait mis toute la fierté de son savoir-faire technique, la France veut-elle concevoir autrement son existence urbaine ? [1] IAURIF, Les friches industrielles en Ile-de-France. Définition et inventaire. Paris, 1993, 60 p. [2] Observatoire régional du foncier. Les moyens techniques et économiques de reconversion des Z.A.C. en Ile-de-France. Paris, 1995, 62 p. [3] ADEF, Ile-de-France, le blocage des opérations d'aménagement. Quelles mesures adopter ? Paris, Ministère de l'Equipement, 1993, 27 p. [4] F. CHOAY, Le régne de l'urbain et la mort de la ville. In: La ville.Art et architecture en Europe. Catalogue de l'exposition. Centre Georges Pompidou, Paris, 1994, p.26-38. [5] Voir F. Béguin. Vagues, vides, verts. In: Le visiteur., n°3, automne 1997, publication de la Société Française d'Architecture, Paris, p. 56-69. [6] G. SAINTENY. La fiscalité des espaces naturels. Victoires édition, Paris, 1993, 118 p. |
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