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Le Destin ordinaire d'une ville extraordinaire


In : Blois, une étrange douceur, s.d. T. Ermakoff et M. Melot, Paris, éditions Autrement, 1998, p. 156-168.

Patrick Bouchain, architecte, a été directeur de l'atelier public d'architecture et d'urbanisme de la ville de Blois de 1989 à 1993, puis conseiller auprès de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Loir-et-Cher de 1994 à 1997.

Romain Paris. Sans faire l'apologie de votre travail à Blois, j'aimerais insister sur un trait qui me semble particulièrement louable dans la démarche. Je reprends ici la distinction qu'opère Vincent Renard, économiste, urbaniste et chercheur au CNRS, entre ce qu'il appelle "les deux cultures de l'urbanisme". Il y a d'un côté l'urbanisme de planification, et ses figures : l'aménageur public, l'architecte, l'urbaniste communal, qui n'envisagent guère l'aspect économique et financier qu'en arrière-plan, pour privilégier plutôt la forme, la composition urbaine, et portent avec eux un discours, des idées, voire une idéologie, sur ce que doit être la ville. Et de l'autre côté, il y l'aménageur privé, le promoteur immobilier, plus enclin au calcul économique, plus intéressé à la déduction du prix du terrain qu'il peut supporter dans son opération à partir des coûts de construction et des frais financiers, qu'à la forme urbaine, à moins qu'elle ne conditionne la commercialisation du produit. Les deux cultures ont tendance à s'exclure mutuellement, quoiqu'on perçoive ça et là des rapprochements encourageants.

J'ai l'impression qu'à Blois, vous avez réussi à combiner les deux, en allant peut-être un peu contre nature (ou contre culture), et en prenant à bras le corps la question de la richesse, de la création d'emplois et de la valorisation du territoire. Sur le plan de la justice et de l'équité, on aboutit à une lecture différente de la chose publique. Dans l'ensemble, la France est encore marquée par le poids des institutions, centrales ou non, qui se considèrent comme porteuses de l'intérêt général. C'est la culture de Rousseau, c'est aussi celle de Napoléon, qui considère que l'intérêt général l'emporte sur la somme des intérêts particuliers. Or, sans devenir le bras séculier de l'utilitarisme, la méthode que vous avez mise en place cherche à combiner, au contraire, l'intérêt de chacun. La logique de la concertation, de la discussion, amène chacun à revoir ses positions, à céder sur certains points, pour qu'on arrive, collectivement, à un "plus petit commun multiple" des intérêts. Le consensus survient, sans léser personne, ni tout le monde.

Cela a été possible parce que Blois le permettait, n'étant pas une ville trop grande, l'ensemble des acteurs économiques et culturels etant identifiable sans trop de difficulté. Le débat n'est pas clos, chez les urbanistes et les politiques, de réfléchir sur la taille optimum de la ville. Certains parlent de 100 000 habitants, d'autres de 500 000 habitants. Il est intéressant de constater que selon les pays et les cultures, la taille peut largement varier : un Américain optera plutôt pour 500 000, un Italien pour 50 000. En tout cas, Blois paraît, à cet égard, comme un lieu sur lequel on peut agir, même si c'est une ville chargée d'histoire...

Patrick Bouchain. Blois n'est pas une ville particulière. Malgré son histoire prestigieuse, son caractère royal, elle est dans un certain sens "banale". Elle s'est constituée par strates successives, au carrefour de circulation entre deux axes, l'axe ligérien est-ouest et l'axe Vendôme-Romanrantin nord-sud. Sa localisation est déterminée par le fleuve, voie navigable commerçante. Le site présente plusieurs particularités : transition entre des terroirs différenciés, le plateau forestier et agricole au nord, les coteaux exposés au sud, puis le marais en rive gauche avec un franchissement facilité du fleuve par une faible profondeur. C'était la première forme de la ville, près du fleuve et des ponts.

C'était le passage obligé entre le nord et le sud. Pendant très longtemps, les choses ont peu bougé, jusqu'au XIXe siècle, comme dans beaucoup de villes françaises. L'arrivée du train dans la ville en a modifié la forme. Le chemin de fer d'Orléans, venant de Paris, descendant du plateau, pénétrait le coeur de la ville, avant de suivre la Loire jusqu'à Tours. Il épargna le château et la forêt, mais coupa la ville. La ville s'étendit vers l'est, bloquée à l'ouest par la voie ferrée. L'industrie agro-alimentaire qui se développait alors, s'installa soit sur le plateau, soit dans la ville, comme Poulain. Les nouvelles activités engendrèrent un exode rural local qui entraîna l'extension des faubourgs, entre le centre et la gare.

Le processus suivit son cours jusqu'à la seconde Guerre mondiale. Blois se situait sur la ligne de démarcation. La ville subit en 1940 les bombardements des alliés qui cherchent à stopper la progression des Allemands, en particulier le pont de Jacques Ange Gabriel. Il tint debout, à la différence de nombreux bâtiments alentours, qui furent détruits. La reconstruction, menée au lendemain de la guerre par l'architecte Aubert, fut de très bonne qualité. Il travailla sur une typologie douce, il élargit un peu les voies, modifia quelques tracés, joua sur la topographie et créa des liaisons entre le haut et le bas avec des degrés, avec des contreforts. La ville a été globalement préservée par la reconstruction.

La suite fut marquée par la première phase de la déconcentration industrielle (la DATAR est créée en 1964). Le développement de l'industrie manufacturière alla de pair avec celui du logement social, trouvant au nord de la voie ferrée ses terrains d'élection : terrains de qualité, peu chers, bientôt desservis par l'autoroute. En limite de la forêt domaniale, les Z.U.P. représentent l'extension la plus récente de la ville. Les "allées François Ier", chemins forestiers magnifiques longent la Z.U.P.!

R.P. Le contraste est intéressant et porteur d'enseignements, en ce sens qu'il révèle que ce n'est pas uniquement la situation a priori d'un quartier qui en fait la qualité. On a beaucoup dit a priori de Sarcelles : "de toute façon, cela ne peut pas marcher, c'est un champ de betteraves". L'isolement du grand ensemble dans l'armature urbaine est évidemment décisif. Cela dit, La Courneuve, ce n'était pas un champ de betteraves, et les Z.U.P. de Blois non plus. Il y a, au delà de la situation, une nécessité d'urbanité et de mixité, sinon sociale (celle-ci n'a jamais existé et constitue un mythe qu'avait déjà dénoncé la sociologie urbaine dans les années 1970) du moins fonctionnelle. Un quartier exclusivement de logements dans l'axe du château de Versailles ou de l'Arc de Triomphe n'amène pas plus de satisfaction sur le plan urbain, sinon que les populations aisées qui peuvent y habiter ont les moyens de se déplacer vers autre chose. Il est nécessaire de rapprocher l'habitat (c'est à dire le logement, les loisirs) des commerces, du travail, des lieux d'exercice de la citoyenneté. Comme c'est en définitive le cas à Sarcelles. A ce titre, Blois me semble avoir bénéficié d'un grand atout au lendemain de la guerre : ne pas être un laboratoire du mouvement moderne. Après, elle a pâti comme ailleurs de l'urbanisme de zoning et de la séparation des fonctions.

Le constat est d'une affligeante banalité et l'on ne sait toujours pas comment résoudre le problème, d'autant que s'est greffée par dessus cet aspect morphologique un questionnement beaucoup plus fondamental sur la civilisation du travail et sur la capacité de nos sociétés à évoluer dans le monde du chômage - ou du temps-libre...

P.B. A Blois, la Z.U.P. représente un tiers de la population de la ville. Je demandais toujours si, en retour, elle bénéficiait d'un tiers des investissements. D'un tiers des jardiniers, d'un tiers des infrastructures, des panneaux de signalisation... Mais le drame, à mon sens, tient plus dans la relation induite de ce tiers de la population à un nombre très limité de propriétaires-bailleurs. Cela implique un rapport au loueur identique pour chacun. Je trouve ahurissant de placer tant de gens dans une situation hors du droit commun, face à des institutions toute puissantes sur leur domaine. Et il me semble que l'urbanisme de zoning est la formalisation de ces mises à l'écart officialisées. L'un des vrais problèmes de la ville, c'est la multiplication des zones de non droit, ou de dérogation au droit.

Urbanisme et développement économique.

P.B. Sitôt en charge de l'atelier public d'architecture et d'urbanisme de Blois, j'ai été effaré de voir le cloisonnement entre les logements et les activités. Mais aussi les politiques et les pratiques techniques. Car qui de l'Etat, de la région, du département et de la commune, réalise la ville ? Qui programme, qui commande, qui utilise ? C'était un véritable émiettement des responsabilités.

Si le problème numéro un, c'est l'emploi, et si l'activité c'est l'équilibre social et économique, il faut pour réfléchir et agir sur la ville avoir le une vision globale, être capable de décider dans une économie globale et connaîre le coût global. L'investissement et le fonctionnement des équipements réside à la fois dans l'utilisation des ressources financières locales au travers de l'impôt et dans le recours à des subventions qui ressortissent de la distribution de ressources nationales. Les élus qui les programment sont donc redevables à la collectivité de leurs investissements. A l'image d'une entreprise, pour laquelle on peut estimer l'ensemble des dépenses nécessaires à la conception d'un produit ou d'un service, et le retour que l'on peut attendre de l'investissement, la collectivité devrait pouvoir dresser le coût global de chaque équipement. Il est certain que cela est plus difficile que pour une entreprise, du fait de la notion d'intérêt collectif, non quantifiable immédiatement. Cela ne doit pas empêcher d'avoir une vision globale, dans laquelle le coût global serait un indicateur obligé. Si l'élu prend en charge l'organisation et la gestion de la collectivité, il doit, en conséquence, rendre des comptes à la collectivité. La questiondoit être sans cesse posée : entre l'impôt prélevé, la demande de la population et la dépense, l'investissement était-il jusitifé ?

Face à la question de la création de richesse pour produire de l'emploi et de l'activité se trouve toujours à ce paradoxe : c'est du politique que l'on attend systématiquement une réponse (législation du temps de travail, contrôle du travail, appui aux nouvelles branches, recherche et développement), alors que l'emploi relève principalement d'une activité privée. Ma position à cet égard a été d'éviter tout a priori, et de rencontrer l'ensemble des agents économiques et sociaux. Ma première question était à chaque fois identique : comptez-vous maintenir ou développer vos activités, et si oui, que vous manque-t-il pour cela ? Les réponses ont été surprenantes, allant à l'encontre de ce que pensent généralement les élus et les techniciens : personne n'était à la recherche de terrains, ni de zones d'activités. Trois critères de développement revenaient inlassablement :

1. Une offre en logements locatifs suffisamment diversifiée, capable d'accueillir des cadres, des techniciens, des chercheurs. La location existait uniquement dans le logement social, jamais dans le logement intermédiaire, plus rien n'était disponible en centre-ville.

2. Des équipements d'enseignement universitaire satisfaisants, avec une réelle interrelation entre Tours et Orléans. "J'ai des enfants, s'ils souhaitent faire des études supérieures, je n'ai ni l'envie, ni les moyens de les envoyer ailleurs." Le thème de la création de richesse tournait toujours autour de la question de l'éducation.

3. En dehors de l'activité et du logement, les loisirs et la culture étaient considérés comme fondamentaux pour l'équilibre de vie.

L'attribution de subventions ou l'aide au développement par l'abaissement de la taxe professionnelle, ne venait que rarement.

La réflexion des chefs d'entreprise était de dire que leur développement ne nécessitait pas forcément une main d'oeuvre supplémentaire mais peut-être mieux formée, et que les locaux et les terrains dont ils disposaient suffisait largement à leur croissance. La première remarque à tirer de ces rencontres était l'abandon immédiat de toute création de nouvelles zones d'activités périphériques et des infrastructures afférent, et qu'il fallait réhabiliter et améliorer les zones existantes. Par contre, rien ne devait être fait sans répondre à ces questions : Quel type de logements et à quel endroit ? Quels établissements d'enseignement et à quel endroit ? Quels équipements culturel et à quel endroit ?

Romain Paris. Au fond, comme un peu partout en France, Blois serait peut-être victime d'un suréquipement. Les zones d'activités sont largement calibrées par rapport à la demande des entreprises. On peut même dire - et c'est l'un des méfaits évidents de la décentralisation, qui a conduit à une concurrence acharnée entre les communes pour attirer les entreprises - qu'en plus de ce calibrage qualitatif, il y a pléthore quantitative. L'objectif des communes était de produire des zones d'activité au moindre coût, ce qui a conduit à la création de zones périphériques, où le foncier était moins cher, en bordure des infrastructures de communication. Aujourd'hui, on s'aperçoit que l'élément décisif semble devenir les externalités, pour reprendre le concept mis au jour par l'économiste A. Marshall, c'est à dire tout ce qui autour du système productif proprement dit, facilite de façon indirecte les conditions de la production. La vision de la ville comme productrice d'externalités prend tout son sens, dans la mesure où l'offre de logements, l'offre culturelle et scolaire et l'offre de loisirs peuvent déterminer une entreprise à s'implanter ici ou là, ou, le cas présent, à concevoir son développement.

Dans le même temps, vous avez bien mis en évidence une difficulté majeure, celle de la sectorialisation des politiques. Un maire délègue une partie de ses pouvoirs à des élus sur des sujets qui pourraient - devraient ? - être traités globalement : environnement, urbanisme, développement économique, transports et circulation, voirie, etc. De la même façon, les services techniques sont divisés en directions dont les compétences devraient en pratique s'empiéter. Ou la France a développé une pratique de la négociation et du dialogue que l'on ne lui connaissait pas, ou certains problèmes ne sont pas traités comme il faudrait. Il me paraît difficile d'aborder et de résoudre concrètement cette apparente contradiction entre des besoins annexes au développement de l'activité et de l'emploi et des politiques traditionnellement sectorielles, à l'échelle nationale comme au niveau local.

La démarche du projet urbain.

P.B. Je crois fondamentalement au dialogue et à la clarté de la démarche. Quand j'emploie le terme global, ce n'est pas au sens totalitaire ou utopique. Il ne s'agit pas de tout régler dans le cadre d'un système global. Il s'agit plutôt de voir un tout pour agir ensemble avec toutes les compétences. Cela repose avant tout sur une croyance dans le savoir : pour agir, il faut connaître. Il y a malheureusement plus d'un technicien qui agit par mimétisme, non en connaissance de cause. La sectorisation des politiques aboutit bien souvent à une surenchère de chacun, dans le but de légitimer sa vision des choses. C'est le rôle du politique d'avoir une vision globale.

J'ai en tête le cas d'un carrefour à feux, souvent engorgé. Un mouvement revendiquait depuis dix ans un carrefour dénivelé, sous prétexte qu'il était inadmissible qu'on attende trop longtemps pour rentrer chez soi. A Blois comme ailleurs, les infrastructures coûtent très cher. Faire un carrefour dénivelé coûte le même prix qu'une piscine, environ quarante millions de francs. On peut se demander d'abord si le carrefour qui doit satisfaire quelques usagers équivaut socialement à la piscine qui servira à d'autres et éventuellement aux mêmes qui se plaignent. Ensuite, on peut s'interroger sur le pourquoi de cet engorgement le carrefour était le point de passage obligé entre ceux qui allaient faire leurs courses et ceux qui rentraient chez eux. Il y avait là pendant un quart d'heure quelque chose d'inextricable, qui faisait que le blocage était inévitable.

Fallait-il régler ce détail ou regarder globalement les problèmes de circulation ? Augmenter la fluidité, donc la rapidité, donc le bruit pour le voisinage ? Ou regarder la circulation à l'échelle globale ? Et mieux innerver le réseau en dépensant mieux les fonds publics ?

Il était plus utile pour l'ensemble de l'agglomération de construire un troisième pont, à l'ouest de Blois, un pont urbain, qui permettrait non seulement de desservir le sud, mais aussi plus généralement dans un flux plus diffus, de raccorder le quartier de la gare, la Z.U.P., etc. Il s'agissait de mieux utiliser et de rentabiliser le réseau.

Un autre exemple probant concerne l'Université. Où implanter cet équipement ? J'ai tout de suite insisté sur les problèmes que soulèverait un campus en dehors de la ville et sur l'intérêt que l'Université s'implante au contraire au centre. Cela me semblait un élément essentiel de revitalisation du centre, à la fois pour le commerce et le marché du logement, et pour la vie de la cité, par la présence d'étudiants en centre-ville. D'autre part, un campus hors les murs aurait amené plus de circulation, un nouveau morcellement du territoire, etc. Il existait un terrain industriel en centre-ville, né de la délocalisation en périphérie d'une entreprise. J'ai pensé que la Chambre de Commerce et de l'Industrie avait une responsabilité dans la requalification des anciennes zones d'activités mais également dans l'enseignement supérieur puisqu'il était aussi question d'implanter une école d'ingénieurs. Et nous avons entamé des négociations afin qu'elle achète le terrain. L'argument du coût global et d'un investissement à long terme a été décisif. L'Université en centre-ville répondait aux attentes de tous. Pourquoi ne pas la faire ?

R.P. Ou comment la densité permet l'urbanité... Je suis assez sensible à ces arguments, parce qu'ils démontrent par l'exemple le substrat théorique de quelques recherches urbaines récentes. On s'est posé une question simple, de savoir ce qui coûtait le plus à la collectivité entre une ville peu dense, qui répond largement aux aspirations majoritaires pour la maison et la voiture individuelles, mais implique la programmation d'équipements routiers lourds et un accroissement de la durée du trajet domicile-travail, et une ville plus dense, avec de meilleurs transports en commun et une plus grande mixité. Le coût global intervient évidemment. Pour la ville peu dense, il faut faire une mesure globale entre le simple coût de l'autoroute et des infrastructures en général, les coûts liés à l'accroissement de la pollution due aux transports, le coût du temps perdu dans les embouteillages, le stress qui y est lié, mais aussi le bénéfice de la satisfaction des habitants de posséder une maison, voire le déficit démocratique que cela peut induire. Pour la ville dense, le coût réduit des infrastructures routières ne doit pas impliquer un coût plus élevé des transports en commun, et il faut prendre en compte des valeurs foncières plus élevées... Mais, au delà de la querelle idéologique, qui correspond sur le fond à un choix de société important, il importe de retenir que la ville dense coûte moins cher à la collectivité.

Pourtant, quand bien même on veut, en tant qu'urbaniste responsable, mettre en place un urbanisme de la densité - relative - et de la mixité, avec une vision complexe, on est, je crois, rapidement confronté à la difficulté de la planification, face aux secousses du marché, de l'initiative privée et du primat de l'économique. La question qu'un urbaniste peut se poser est, dans ces conditions, comment réaliser un projet urbain à terme ?

P.B. Il me semble qu'il y a un certain nombre de domaines qui sont à l'écart de l'économique, et sur lesquels on peut agir. Je disais toujours pour rire, que la seule chose que l'on ne vendra jamais à la bourse de Tokyo en une nuit, c'est le château. On peut négocier des mois durant la venue d'entreprises japonaises, coréennes, les faire bénéficier de mille avantages, et les voir partir du jour au lendemain, à cause d'une crise financière. Le château, c'est à dire le lieu et l'histoire sont au contraire des données durables de la ville. Le premier facteur de développement économique de Blois fut sa situation. Si les rois s'y sont installés, si elle est devenue une place commerciale, c'est que sa localisation, sa topographie étaient avantageuses. Si le chemin de fer a remplacé la Loire, puis l'autoroute le chemin de fer, Blois n'en reste pas moins là. Ce capital est important. Or, il est aussi, à mon sens, la forme de la ville.

La nature du projet urbain de Blois réside dans cette observation. Je pense que la forme du projet urbain, c'est l'extension de la forme de la ville. Un projet urbain, ce n'est ni un projet architectural, ni une création ex nihilo qui ne tient pas compte de l'environnement et du cadre existant, un objet posé là. Le projet urbain s'inscrit dans la réalité, ne s'oppose pas à l'histoire, il n'est pas à créer, 99% des choses existent. Le premier des projets urbains est de connaître la ville, la topographie, les réseaux, la structure de la propriété...

Il n'était pas question d'établir un schéma directeur d'ensemble, ni de mettre au point un vade mecum des normes urbanistiques, une sorte de bible des formes souhaitables et des formes à bannir. La méthode consistait en une démarche, associant le plus grand nombre d'acteurs, élus, habitants, techniciens. Et surtout coordonner le travail de tous ceux qui ont en charge l'aménagement de la ville. A partir de là, la seule règle, c'est de comprendre, de décider et d'agir. Sur chaque sujet, vérifier les compétences, les capacités et l'envie de travailler ensemble. Cela peut être sur le troisième pont, sur le fleurissement de la ville, sur l'usage privé du domaine public.

Le projet urbain de Blois, c'est une méthode et une pratique. Le risque est évident, que le projet périclite en fonction des responsables qui l'animent. Mais l'on peut, me semble-t-il accepter cette idée d'une durée limitée du projet. Ce sont les hommes qui font la ville et la vie, pas les règlements. Il n'y a rien de pire que l'application d'un document inadapté. Edicter des règles qui seront appliquées par d'autres, c'est le meilleur moyen qu'elles ne soient pas respectées. Je préfère des règles qui donnent la liberté aux hommes de prendre en main les affaires de la cité, et de les appliquer eux-mêmes. C'est le meilleur moyen qu'ils soient jugés sur leur propre travail.

C'est ce que permettait la structure légère de l'atelier, destinée à se fondre à terme dans une direction de l'architecture et de l'urbanisme. L'atelier public d'architecture et d'urbanisme a été un lieu de réflexion pour l'action et pour la ville, et un lieu de convergence des compétences.

Il a été aussi le lien avec les services techniques déjà institués, les gestionnaires de la ville, sans créer un instrument technocratique. L'atelier était essentiellement constitué de techniciens, j'en assurais la direction, Jean Harari assurait la direction des études, Laurence Gorgiard le suivi des études, des urbanistes de la ville avaient rejoint l'atelier pour assurer l'adéquation entre les études réglementaires et les études du projet urbain. L'objet ne devait pas perdurer, et se dissoudre après mon départ, tout en ayant initié cette vision globale.

Je dirai, en guise de conclusion, que l'objectif était modeste. Je voulais agir sur des points concrets, sans faire une ville tape-à-l'oeil. Il fallait réveiller les énergies et remettre la ville en marche. L'atelier public a joué le rôle de point de rencontre des idées, le lieu d'un débat complexe, le lieu du litige nécessaire, le lieu de l'action quotidienne. En un mot, le lieu de la vision globale.

2002