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L'aménagement crée-t-il vraiment des plus-values ?

Revue Etudes Foncières, n°84, automne 1999, p.17-22.

En synthèse des récents Entretiens de l'Aménagement, tenus à Montpellier les 15 et 16 avril dernier à l'initiative du Club Ville Aménagement, M. Georges Cavallier insistait sur la nécessité, "aux côtés du classique bilan financier des opérations d'aménagement" de "développer l'idée d'un "bilan global" intégrant les externalités, les impacts économiques, fiscaux, sociaux et urbains des projets pour la collectivité publique". Il traduisait là un consensus, dont il faudrait déterminer s'il ressortit à une prise de conscience profonde, évolution des mentalités, qu'à l'évidence, une opération d'urbanisme est menée dans un territoire qui lui préexiste et avec lequel elle entre d'une manière ou d'une autre en interaction ; ou s'il s'agit d'un souci conjoncturel, liée à la crise de l'aménagement, avec pour objet, in fine, d'inventer les outils susceptibles d'équilibrer des bilans de Z.A.C. largement déficitaires.

On serait tenté de dire : un peu des deux. Le contexte de l'aménagement a changé, sans aucun doute. Les termes de renouvellement urbain, de fabrique de la ville sur elle-même, au delà d'une mode discursive, illustrent un choix politique, qui tend à justifier ville dense et développement des transports collectifs par un principe de saine gestion et d'économie des coûts, appuyées sur un alibi scientifique, celui du développement durable. Dans ce cadre, la demande d'aménagement semble modifiée de manière pérenne, tant qualitativement que quantitativement, portant sur de vastes secteurs déjà urbanisés, partiellement paupérisés, souvent mal desservis, assurément mal vécus, qu'il convient de valoriser. Mener une politique d'aménagement sur ces secteurs passe par un préalable incompressible : envisager le lien entre le territoire et ses parties, dont celle à aménager.

D'un autre côté, la recherche d'effets externes positifs engendrés par l'aménagement peut se justifier sous le seul empire de l'économie de l'opération. Si l'aménageur parvient à démontrer qu'il crée de la richesse au-delà du périmètre sur lequel il intervient réglementairement et physiquement, il peut revendiquer la captation d'une partie de la plus-value. En renversant la pratique des participations aux équipements publics, ce serait le deus ex machina des Z.A.C. en difficulté. A moins d'être profondément endettés, bien des opérateurs verraient là la solution à une crise dont l'ampleur et les manifestations ont déjà été largement décrites dans cette revue. Resterait néanmoins à déterminer qui capte actuellement ces effets externes, qui serait prêt à les céder, sous quelle forme, à quel prix...

Une opération peut redynamiser un quartier

En général, le mot "externalité" est souvent manié, sans qu'on prenne le soin de véritablement en préciser le sens. La coïncidence entre l'effet externe au sens physique (caractère de ce qui est extérieur à un périmètre) et effet externe au sens logique (ce qui est indirect) est sans doute pour quelque chose dans le succès du mot. Il fait écho, de plus, à un credo fondateur de l'urbanisme (sa capacité, en l'organisant, à valoriser l'espace), assez largement partagé par les élus, les aménageurs et les urbanistes. L'idée peut être résumée ainsi : un projet d'aménagement, suffisamment important et ambitieux, implique une modification durable de l'environnement social, économique et urbain du territoire (îlot, quartier, ville) dans lequel il s'inscrit. Il sait "entraîner dans son sillage le développement des rues limitrophes, puis de proche en proche, [la] partie de la [ville]" où il se situe[1]. Une opération peut "requalifier", "redynamiser" un quartier, elle peut fournir un modèle morphologique au tissu avoisinant pour son évolution future, elle peut rééquilibrer vers l'est une agglomération que l'histoire pousse traditionnellement vers l'ouest...

Le postulat de ces effets, externes au périmètre opérationnel, est-il autre chose qu'incantatoire ? Y'a-t-il, pour reprendre la terminologie de J.-M. Offner à propos des effets structurants des transports, "mythe politique", voire "mystification scientifique", ou une Z.A.C. produit-elle réellement des effets externes internalisables ? Une réponse positive à cette question est loin d'aller de soi, pour quatre raisons.

D'abord il est difficile de clarifier le concept, ensuite de calculer l'équivalent monétaire d'un effet externe, enfin de le traduire en termes juridiques et opérationnels pas trop complexes. Pour peu que ces trois difficultés fussent levées, l'incertitude qui plane de toute façon sur la capacité de l'aménagement à produire encore de la valeur.

Définir l'effet externe

Intuitivement, la notion d'effet externe s'avère assez facile à saisir. Ce qui explique sans doute qu'on envisage son internalisation comme une solution réalisable. Pourtant, il serait malheureux d'en rester là et de taire l'évolution erratique du concept dans la littérature économique. C'est en effet dans cette discipline qu'il trouve à la fois son origine et ses développements les plus récents, sinon les plus audacieux.

Si l'on attribue en règle générale la paternité de la notion d'effet externe à Alfred Marshall et à ses Principles of Economics[2], qui s'intéresse en fait plus particulièrement aux économies d'échelle qu'aux interdépendances techniques entre agents, c'est à A. C. Pigou [1932] qu'il faut reconnaître la définition inaugurale de l'effet externe : "Ici, le point essentiel est qu'une personne A, alors qu'elle rend un certain service, contre paiement, à une personne B, affecte incidemment, en bien ou en mal, d'autres personnes (non productrices de biens similaires, et cela de telle manière qu'un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient, ni une compensation prélevée à ceux qui en souffrent."

Cette définition doit être envisagée sous l'angle des deux sphères de la recherche en microéconomie qui ont par la suite exploré la notion. D'un côté, dans la droite lignée de Pigou, il s'est agi de déterminer les conditions d'un équilibre concurrentiel et d'un optimum économique général, pour lequel l'externalité a été successivement synonyme d'inefficacité des marchés[3] à produire certains biens, les biens dits publics ou collectifs, d'interdépendance générale des marchés[4], ou d'absence de marchés[5]. Les externalités sont considérées comme une source d'inefficacité du marché parce qu'elles engendrent des modifications des fonctions de production qui ne sont pas sensibles dans les prix. L'intervention de l'Etat est nécessaire pour résoudre ce déséquilibre contre-productif. Un cas couramment cité pour illustrer ce déséquilibre est celui de deux routes, rejoignant le même point, dont une est de bonne qualité et l'autre pas. Si l'accès aux deux routes est libre et gratuit, la meilleure route sera sur-utilisée, chaque véhicule supplémentaire au-delà du seuil de congestion ne percevant que le coût qui s'applique à lui (retard) mais pas les coûts croissants qu'il fait subir aux autres véhicules (retard) et au-delà à la collectivité toute entière (retards et pollution), coûts résultant de la congestion qu'il provoque. Pour résoudre ce problème, Pigou propose de lever une taxe calculée par la différence, au flot optimal, entre le coût moyen et le coût marginal.

De l'autre côté, l'approche qu'on pourrait, à la suite de Papandreou [1994], qualifier de "phénoménologique", s'est attachée à considérer l'effet externe comme un fait presque physique, isolable et mesurable. A partir des travaux de Meade, Rosen puis de Baumol et Oates, cette branche a cherché à quantifier, par exemple, l'impact d'une pollution ou d'un risque sur les prix des maisons, à évaluer les effets d'une amélioration de l'accessibilité d'un quartier sur la valeur des logements. Les définitions ont dès lors tendu à se différencier. Pour Meade, "une économie (ou une déséconomie) externe est un phénomène qui apporte un bénéfice appréciable (ou inflige un préjudice significatif) à une ou plusieurs personnes qui n'ont pas été partie prenante ou consentantes du processus de décision qui a abouti directement ou indirectement à l'effet produit." Il faudrait suggérer qu'avec une telle définition, toute action politique non décidée par tous peut être considérée comme un effet externe... Cependant, elle précise la nature "phénoménologique" de cette approche, qui s'appuie notamment sur la méthode dite hédonique[6].

Mesurer l'effet externe

Dans le cadre d'une opération d'aménagement, la définition de l'effet externe peut recouper maintes actions de la collectivité et de son opérateur, selon qu'on identifie celui qui paye et celui qui profite ou subit : la construction d'une voie, si elle est financée par la collectivité peut ne pas être considérée comme générant une externalité. Financée par tous, elle est utilisable gratuitement par tous. En revanche, si elle améliore de façon sensible la desserte des locaux d'une entreprise ou l'accessibilité d'un îlot, ne doit-on pas considérer que quelques uns, ceux qui habitent l'îlot ou les actionnaires de l'entreprise, profitent indûment d'une action qu'ils n'ont pas financé à hauteur du bénéfice prélevé ? La réflexion vaut pour l'amélioration de la vue des habitants donnant sur un îlot insalubre traité comme pour la hausse du chiffre d'affaire d'un commerçant installé à proximité d'une Z.A.C. de logements. On pourrait aller ainsi jusqu'à calculer la perte encourue par un propriétaire qui ne parvient pas à vendre son appartement parce qu'un chantier est prévu à proximité de l'immeuble...

Il apparaît donc en première instance que la ville est un lieu majeur de la production de biens publics et d'externalités. Chaque choix de localisation, la plupart des comportements économiques des habitants de la ville, sont traduisibles en ces termes. Mais le prix de la plupart de ces "biens" ne se fixe pas sur un marché, pour lesquels il n'existe pas. C'est pourquoi leur mesure est si difficile.

Tel qu'il est le plus couramment entendu, l'effet externe correspond à l'approche phénoménologique. Elle a non seulement produit nombre de modélisations formalisées mathématiquement (comme la première approche, celle qui recherche les conditions d'un optimum général de l'allocation des ressources), mais elle a aussi cherché à les vérifier empiriquement. Pour internaliser les effets externes engendrées par des opérations d'aménagement, il convient de les mesurer. On pourrait être tenté d'observer ce que ces travaux ont à nous apprendre et d'appliquer les méthodes qu'ils développent, au cas où ils donneraient satisfaction.

Avant d'aller plus loin, une remarque : si la littérature américaine abonde de références, les Français ne se sont penchés pour l'instant que très marginalement sur ces questions. Les travaux sur les effets des infrastructures de transport sont relativement nombreux, beaucoup plus que ceux sur l'environnement, alors que la question des effets externes des politiques d'urbanisme est quasiment absente des débats. Il ne s'agit ni de mettre en avant une quelconque supériorité américaine, ni de critiquer les conditions de l'émergence d'un sujet scientifique chez les financeurs et les producteurs de la recherche en France. On peut cependant s'interroger, 20 ans après les débuts de la Politique de la Ville, sur le fait que la question de l'évaluation des effets des dépenses publiques n'en soit qu'à ses balbutiements...

Dans l'ensemble, les résultats obtenus, dont les comptes-rendus remplissent les revues comme Land Economics ou le Journal of Urban Economics, semblent assez décevants. Cela tient à la fois dans la démarche suivie, volontiers simplificatrice, et dans le choix des cas empiriques. La méthode hédonique, largement utilisée, repose sur des hypothèses séduisantes : la consommation de caractéristiques d'un bien (sa localisation, son exposition ou sa taille) plutôt que du bien lui-même, l'arbitrage des ménages entre certaines de ces caractéristiques... Hypothèses séduisantes, mais qui appauvrissent le réel. Les modèles, pour traduire au mieux la complexité urbaine, se chargent de variables qui les rendent souvent lourds et contestables. C'est la vieille antienne de l'économétrie ou de la géographie quantitative, qui perd de sa pertinence dès qu'on veut lui conférer une fonction normative ou transformatrice. Cela se traduit par des cas empiriques pas toujours stimulants sur telle banlieue résidentielle d'une comté de l'Illinois ou du Connecticut, dont on se demande parfois s'il n'a pas été choisi seulement parce qu'il vérifiait le modèle...

L'application de ces méthodes au cas français n'est pas des plus évidents. D'une part, le calcul de l'effet externe nécessite une transparence des marchés qui est loin d'être acquise. Si les marchés immobiliers font l'objet de statistiques assez satisfaisantes, il reste difficile de disposer de données exhaustives à l'échelle d'une commune ou d'un quartier dès que l'on s'intéresse aux prix. Concernant les marchés fonciers, la pénurie de données est patente, en l'absence de livre foncier ou de publicité réelle des données des Hypothèques ou des notaires. Une étude récente réalisée par la SCET pour le Ministère de l'Equipement et la SCIC a montré les limites importantes à une meilleure connaissance de l'économie des mutations urbaines.

D'autre part, la ville européenne, même atteinte par la périurbanisation, demeure socialement et morphologiquement plus complexe que la ville américaine. Les modèles concentriques ou sectoriels de la géographie urbaine y font moins écho à une réalité tangible ; un quartier est plus rarement réductible à une grille hypodamique supportant cinq ou six types de maisons sélectionnés sur catalogue ; la mobilité moindre des ménages accompagne un rapport affectif différent au domicile, qui ne fait pas du logement un bien de consommation tout à fait comme les autres. Ces quelques clichés égrainés inciteraient dans toute leur pertinence à imaginer des modèles mathématiques complexes, difficilement vulgarisables, donc peu propices à éclairer des politiques publiques. La capacité de l'économie de passer de l'explication à l'action étant très relative, on peut se demander si le fait d'instituer un dispositif délicat à manipuler (le calcul des effets externes internalisables) ne risque pas de perturber artificiellement un monde déjà complexe.

Enfin, il faut très brièvement revenir sur certaines définitions, lues ici et là, qui prennent comme exemple de l'effet externe la hausse ou la baisse du prix d'un immeuble sous l'effet d'une activité économique. On en parle uniquement car il s'agit d'une source de confusion. La modification du prix est-elle l'effet lui-même, ou le symptôme de l'effet ? A notre sens, le différentiel de prix est d'abord et avant tout un révélateur de l'effet externe. Ce dernier est une distorsion subi par un tiers dans sa fonction d'utilité ou de production.

Le marché, les agents et le droit

Comme on l'a suggéré plus haut, la mesure des effets externes de l'aménagement ne suffirait pas à rendre aux aménageurs le bénéfice de leur création. Quand bien même on réussirait à évaluer la part de l'aménageur dans la plus-value générale d'une opération, il faudrait identifier les agents qui la captent actuellement et trouver les moyens de la leur faire restituer, soit en créant un marché de droits à fabriquer des externalités, soit en instituant des mécanismes fiscaux, dans ce qui restera probablement un jeu à somme nulle.

D'emblée, si comme l'établit le droit, l'aménageur n'est que le concessionnaire d'une prérogative de la commune ou de l'établissement publique de coopération intercommunale ayant compétence d'urbanisme, on devrait se demander qui, de l'aménageur ou de la collectivité est habilitée à récupérer cette éventuelle plus-value. Après tout, l'aménagement concerté et le projet sont du domaine du droit public, la collectivité est l'initiateur et maître d'ouvrage unique de l'opération. Dans ce cas, la collectivité doit-elle être considérée comme un agent économique identique aux autres, qui investit une certaine somme et en attend la même rentabilité que les agents privés ? La production de biens publics n'est elle pas l'un de ses rôles fondamentaux ? Autrement dit, la génération d'effets externes sans retour monétaire sur investissement n'est-il pas la seule voie acceptable ?

En face de l'agent générateur se trouve celui qui capte l'effet externe. Qui est-il ? La réponse à la question conditionne grandement sa propension à restituer un supplément d'utilité indu. On pense immédiatement aux propriétaires des biens immobiliers voisins de l'opération qui verrait leur valeur augmenter du fait de l'amélioration de l'image du quartier. Si l'aménageur n'est pas en mesure de prévoir la valeur de l'effet externe suffisamment à l'avance, rien n'empêchera le propriétaire de céder son bien assez tôt pour empocher la plus-value. Si pour remédier à cela l'on veut mettre en oeuvre une taxe sur l'externalité, le problème sera cette fois de déterminer les dates de référence des prix ante et post-opérationnels. A partir de quand l'annonce d'un projet constitue-t-elle une première externalité ? Jusqu'à quel instant peut on dire que l'opération a amélioré l'environnement ?

Ensuite, sur quelles bases justifier la récupération ? Le critère classique de l'économie est le critère de Pareto. On dit qu'il y a optimum de Pareto quand il n'est pas possible de modifier l'allocation des ressources sans léser au moins un agent. Ce critère est un critère d'efficacité de l'allocation, qui ne garantit en rien l'équité de la distribution. En présence d'un effet externe négatif (exemple, une pollution produite par un industriel qui gène la production d'un autre industriel), il y a assurément désutilité pour un agent. Mais dans le cas d'un effet externe positif, le déséquilibre en faveur de celui qui capte l'effet externe agit-il vraiment comme une perte d'utilité pour celui qui le produit ? Certes, ce dernier pourrait gagner plus encore. Pourtant, jusqu'à la crevaison de la bulle foncière, aucun aménageur n'est allé revendiquer cette recette qui n'est pas l'objet d'une vente, comme une charge foncière ou une prestation intellectuelle. En poussant la logique de cet argument, on voit mal l'aménageur d'un quartier en difficulté, type copropriété dégradée, aller réclamer son dû au propriétaire d'un immeuble voisin tout aussi dégradé mais hors de périmètre de l'opération, sous prétexte qu'il en a amélioré l'accessibilité ou le voisinage...

De plus, ailleurs dans la même agglomération, pourquoi le propriétaire bénéficiaire ne pourrait-il pas avancer que les travaux qu'il a entrepris sur sa façade, ou le simple fait d'être parmi les habitants d'un quartier huppé, jouent en faveur de l'opération, et que l'aménageur lui est aussi redevable des retombées positives de la localisation de la Z.A.C. ? On atteint là un niveau de complexité pratique, malgré la relative simplicité du concept, qui rend son opérationnalité sinon impossible, en tout cas improbable. La situation est typique de la création d'un marché de droits non encore définis. Et l'expérience d'un droit plus simple que celui de produire une externalité, le droit de construire, suggère qu'il s'agit peut-être d'une écueil.[Renard, 1999]

L'aménagement peut-il encore produire de la valeur ?

Le dernier obstacle au développement d'outils d'internalisation des effets externes pourrait tout simplement être que l'aménagement n'en produit pas. Cette hypothèse, qu'il faudrait bien sûr vérifier - car elle est synonyme d'un renoncement peu encourageant - n'est pas à écarter. D'une part, quelles opérations menées ces trente dernières années peuvent prétendre avoir durablement valorisé le tissu urbain environnant ? Pour prendre en exemple l'Ile-de-France, mise à part la Défense, qui a sans aucun doute contribué - mais à quel coût - à la hausse des valeurs immobilières à Courbevoie, Puteaux et la partie ouest de Nanterre, le tableau est a priori plus que mitigé. La plupart des villes nouvelles ont déjà bien du mal à lutter contre la dévalorisation de certains de leurs quartiers pour qu'on leur impute un effet sur les communes hors de leurs périmètres. Elles tendent même parfois à les concurrencer... Que dire des opérations moins complexes, dans les pôles secondaires (Créteil, Bobigny), ou dans les communes anciennement urbanisées ? Dans l'ensemble, la valeur des biens fonciers et immobiliers en Ile-de-France a nettement plus augmenté dans les extensions périurbaines que dans les communes plus centrales où ont été menées des opérations parfois importantes.

Enfin, la décapitalisation qui pourrait toucher les vieux pays occidentaux ne serait-elle pas in fine l'obstacle ultime à la création de valeurs urbaines ? C'est la thèse que Jean-Claude Chesnay [1997] défendait il y a deux ans dans un article de la revue le Débat : la contraction à terme des marchés, notamment immobiliers, du fait du non renouvellement démographique, ajouté à la volatilité des capitaux, risque d'entraîner une diminution conséquente de la valeur des patrimoines. Alors que dans les grandes villes des pays dits émergents (l'article est antérieur à la crise asiatique), les loyers commerciaux et les prix fonciers ont déjà dépassé ceux des capitales occidentales[7], l'auteur doute du maintien des valeurs tant pour les maisons de nos quartiers périurbains, dont la taille est inadaptée à la demande de ménages toujours plus petits, que pour les centres des nos agglomérations, subissant la concurrence de leurs homologues en plein essor des pays de forte croissance démographique.

Dans cette optique, qui relativise la capacité de l'aménagement urbain à valoriser tous les territoires, tant par rapport aux nombreux espaces en déshérence qui seront maintenus à l'écart dans nos villes, que par rapport aux espaces des villes des PVD susceptibles d'engendrer des plus-values sans commune mesure avec celles des villes des pays riches, l'internalisation d'éventuels effets externes ne revient-il pas un artifice, une illusion de valeur ?

Précaution

En tout état de cause, la notion d'effet externe de l'aménagement urbain est à manipuler avec précaution. Si l'idée est séduisante, sa mise en oeuvre implique deux niveaux de difficultés à surmonter : des difficultés techniques, qui pourront sans doute toujours être résolues, comme l'opacité des marchés fonciers ou les moyens de récupération de la plus-value ; des difficultés plus profondes, éthiques et politiques (qui doit payer la ville ?) et plus encore économique (qui a les moyens de la payer ?).

Il n'en reste pas moins que ce concept fournit un outil d'analyse des politiques publiques et des projets d'urbanisme, en posant la question de leur validité à requalifier, revaloriser le territoire, et en cherchant à poser autrement celle du rapport à l'existant, au tissu déjà constitué, question essentielle dans le cadre du renouvellement urbain.

Bibliographie indicative

Une bonne introduction au sujet :
  • LEVEQUE, F. Economie de la réglementation. Coll. Repères. La Découverte. 1998, 124 p.
Des références anglo-saxonnes plus spécialisées :
  • BATOR, F. M. The Anatomy of Market Failure. The Quarterly Journal of Economics, n°72 (8), 1958, p. 351-379.
  • BAUMOL, W. J. On Taxation and Control of Externalities. American Economic Review, n°62, 1972, p. 307-322.
  • >BAUMOL, W. J., OATES, W. E. The theory of environmental policy. Cambridge University Press, Cambridge, 1988.
  • BUCHANAN, J. M., STUBBLEBINE, W.C. Externality. Economica, n°29 (116), 1962, p. 371-384.
  • COASE, R. The Problem of Social Cost. Journal of Law and Economics. vol.3, oct. 1960, p.1-44.
  • MEADE, E. J. The Theory of Externality - The Control of Environmental Pollution and Other Similar Costs. A.W. Sijthoff-Leiden, Genève, 1973, 92 p.
  • PAPANDREOU, A. Externality and Institutions, Clarendon Press, Oxford, 1994, 304 p.
  • PIGOU, A.C. The Economics of Welfare, Mac Millan, 4ème édition, Londres, 1932
A titre indicatif :
  • CHESNAY, J.-C. Les racines démographiques de la déflation. Le Débat, n°94, mars-avril 1997, p. 86-97.
  • RENARD, V. Où en est le système des transferts de COS ? Etudes Foncières n° 82, printemps 1999, p. 8-16.
  • ROUX, J.-M., PARIS, R. Marchés fonciers et déshérence urbaine. DGUHC et Direction de l'architecture et de la recherche de la SCIC, 1998, tome 1, 67 p. (tome 2 à paraître)

[1]   Propos de J. Toubon, maire du XIIIe arrondissement de Paris en introduction du numéro 29 de la revue Paris Projet consacré à l'opération Seine Rive Gauche (1990, p. 7)

[2]   avec cette première distinction fondatrice : "Si nous étudions les économies nées d'un accroissement de l'échelle de production, nous trouvons qu'elles se répartissent en deux catégories : celles qui dépendent du développement général de l'industrie (économies externes), celles qui dépendent des ressources des entreprises individuelles et de l'efficacité de leur gestion" (1961, 8ème édition, p. 262)

[3]   Chez BATOR (1958) SAMUELSON (1954, 1955) ou ARROW (1970)

[4]   Chez BUCHANAN (1962)

[5]   Dans l'école de l'économie du droit, à partir des travaux de COASE (1960).

[6]   Rappelons les débats tenus dans les numéros 74, 76 et 78 d'Etudes Foncières.

[7]   selon cet article, les baux sont plus chers dans le centre de Bombay, de Shangaï ou de Pékin que sur les Champs-Elysées ou sur Bond Street.

2002